Après avoir beaucoup voyagé et vécu dans son enfance au contact des Aborigènes en Australie, des Indiens Navajos aux États-Unis et des Tibétains dans le nord de l’Inde, Benjamin Barou-Crossman a retrouvé chez les Tsiganes le même sens du collectif, de l’hospitalité et du partage que dans ces sociétés. Et chez les Tsiganes le monde de son enfance a resurgi. D’où son désir profond de réinventer le duende cher à Federico García Lorca dans Jeu et théorie du duende, nourri également par la poésie d’Alexandre Romanès.
Le duende, c’est la flamme, le feu sacré, le supplément d’âme que tout un chacun peut porter. « Le duende ne s’explique pas, il se ressent » déclare García Lorca.En partenariat avec les villes de Sète, Mireval, Marseillan, Mèze, Balaruc-le-Vieux, Frontignan la Peyrade, Montbazin, Poussan, Gigean, Balaruc-les-Bains ce spectacle créé en mars 2016 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau a aussi reçu l’aide de la Région.
Et ce samedi soir, il avait élu domicile à Poussan, à la salle Paul Vilalte de la MJC. Conçu comme une forme de cabaret, le théâtre de Benjamin Barou-Crossman, formé par Stanislas Nordey, se voulait être l’expérience du partage avec le public, grâce à l’imprévu, à l’humour, au corps, à une douce folie, à l’élan vital et à la rage de vivre. Car pour faire ressentir ce mystérieux duende, il y avait de l’oralité, celle de deux comédiens dont Benjamin Barou-Crossman. Il y avait aussi du flamenco rempli de chants, de danse ( Karine Gonzalez qui travaille régulièrement avec Tony Gatlif) et de musique (la guitare de Luis Dávila Oria).
Les talentueux acteurs, le guitariste exceptionnel et la superbe Karine Gonzalez dans des danses flamenco qui illustraient à merveille cet état second que l’on atteint grâce au Duende, ont chacun à leur façon, ou en duo, essayés de partir à la recherche de ce fameux Duende, cette force venue de la Terre qui permet de réduire son corps pour qu’il soit en suspension.
Comme une chanteuse qui portée par la foule, par l’envie et la passion, va oublier son « être », en concert, comme un dervish-tourneur qui pourra tourner durant des heures, comme encore ces grands Peintres qui dépassent leurs souffrances physiques pour créer des œuvres incomparables, ou encore ces marathoniens qui oublient les signaux émis par leur corps, chacun d’entre nous peut, porté par « Le Duende » se transcender, atteindre un niveau ou seul l’esprit vous porte. Et c’est dans cet oubli du corps que vont naître des créations étonnantes. Plus question de codes, de limites, l’esprit libéré est soutenu par cette force qui va lui permettre de s’exprimer sans limites physiques.
Car pour le dictionnaire de l’Académie espagnole (1732), un « duende », est un terme commun pour désigner les démons domestiques (trasgos) ; l’Académie espagnole l’intègrera comme « charme mystérieux et ineffable » et le rapportera au flamenco, « los duendes del cante flamenco ». Elle y reconnaît dès lors cette disposition spéciale rappelant la transe, où le génie, l’inspiration, vient soudainement et alors tout réussit sans virtuosité à l’interprète musicien, chanteur ou danseur.
Le spectacle d’El Duende nous a fait ressentir « ce vent de l’Esprit qui était passé sur la tête des morts pour annoncer d’une façon permanente le baptême des choses créées. »
Animé par la voix ou par le geste de l’expérience de l’art flamenco, le duende s’étend à tous les domaines de l’art, à chaque fois qu’il s’agit de faire la différence entre la véritable inspiration et l’imposture (Wikipédia).
Et ce samedi soir le spectacle possédait la fraîcheur de ces choses qui viennent d’être créées pour nous faire approcher cette expérience subjective, cette recherche de la flamme qui est en nous.