QUELQUES NOMS DE LIEUX DU BASSIN DE THAU en lien avec la langue occitane

Par Josiane UBAUD – Lexicographe et ethnobotaniste en domaine occitan

 

Nos noms de lieux (toponymes) conservent les traces les plus anciennes de toutes les langues (pré-indoeuropéen, gaulois, grec, latin, etc.). Ces noms digérés et façonnés par l’occitan, comme on en voit l’évolution au fil des siècles dans les archives, cartulaires et compoix, ont été ensuite transcrits en français à partir du 17e siècle de façon souvent approximative quant à l’orthographe, voire catastrophique, les rendant opaques et sans lien avec leur langue d’origine, l’occitan.

Rappelons en effet l’évidence : les noms occitans des villages qui s’affichent parfois en plus du nom français… existaient avant le français. Ils ne sont donc point des « traductions du français » puisque c’est exactement tout le contraire. À ce sujet, on se rappellera la rocambolesque affaire des panneaux bilingues de Villeneuve-les-Maguelonne/Vilanòva de Magalona, où la municipalité avait été attaquée par un individu tous crocs dehors et d’une grande ignorance, accusant d’avoir inventé le nom occitan (pourtant présent dans les archives depuis le 12e siècle, encore faut-il s’instruire dans les livres adéquats).

Affichage qui, de plus, serait… accidentogène pour les automobilistes, à cause d’un deuxième panneau qui perturbe gravement leurs yeux. Cela ne fait pas rire hélas… Il a été débouté mais en deuxième instance seulement, le premier jugement lui ayant donné raison. Les juges ne sont pourtant point linguistes. Surréaliste et très français, quant au rapport aux langues régionales que dénote l’incident.

« Les explications les plus fantaisistes circulent aussi concernant le sens de ces noms (Loupian… parce qu’il y avait des loups…), véhiculées par des personnes croyant savoir, se faisant passer à peu de frais pour l’érudit local, mais s’abstenant de consulter le moindre ouvrage de spécialistes. Or l’étymologie est une science, pas une intime conviction ou un jeu d’improvisation « à l’oreille ». Mais la réponse est parfois bien difficile à trouver, les toponymistes ne sont pas toujours d’accord entre eux, et les affirmations sur tel ou tel nom ont pu évoluer au fil du temps, grâce à de nouvelles recherches sur les langues anciennes. »

Nous allons donc donner quelques grandes lignes d’explications pour quelques toponymes du bassin de Thau, du moins ceux qui sont clairs. Non tant pour faire une leçon d’étymologie que pour surtout remettre en évidence la langue occitane sous-jacente, pour les habitants d’origine ou d’adoption. Ils ne liront plus ces noms sans aucun retour de sens…

Ce qui frappe bien sûr en premier, c’est la grande abondance de noms en –an et en –ac (comme ailleurs en Languedoc et en Provence).

Ce sont des noms de domaines gallo-romains attribués en récompense à de valeureux soldats. Le nom exprime donc « le domaine de … », avec trois suffixes latins possibles :

  • nom de la personne + -anum qui donne tous les toponymes en –an,
  • nom de la personne + -acum qui donne tous les toponymes en –ac,
  • nom de la personne + -anicis qui donne tous les toponymes en –argue, formation absente ici mais très présente à l’est de Montpellier (Vendargues, Lansargues, Aimargues, etc., affublés en français d’un s final non étymologique).

Ces formations expliquent que l’on retrouve les mêmes toponymes en des régions diverses (Gignac par exemple) car formés sur le même prénom. Ou encore le même prénom mais suffixé différemment qui donnent des toponymes proches (Veyrac et Veyran).

 LES NOMS EN –ANzoug55Capture

Ils sont donc issus de la suffixacion en –anum qui se réduit ensuite à –an.

Marseillan = Marcellus + -ianum. En occitan Marselhan (prononcé Massilhan).

Loupian = Loppius + -anum. En occitan Lopian. Par sa sonorité, la ville a naturellement choisi le loup comme animal totémique.

 Poussan = Porcius + -anum. La bonne transcription en français est Pourçan, ou au moins Pouçan, de l’occitan Porçan, le r n’étant pas prononcé en languedocien et assimilé au ç qui suit. Mais il n’y a point de s dans l’étymon qui puisse justifier leur présence en français.

Gigean = Gijius + -anum. La bonne transcription est Gijan.

Frontignan = Frontinus + -ianum. En occitan Frontinhan.

Bessan = Bettius + -anum. La bonne transcription en français est Beçan, comme en occitan, les deux s étant anti-étymologiques comme dans Poussan.

Nézignan = Nasinius + -anum. En occitan Nasinhan, qui est passé à Nesinhan. Le z de la transcription en français est une pure fantaisie anti-étymologique, fantaisie qui affuble bien d’autres toponymes (par exemple Barry au lieu de Barri, le rempart ; Pézenas au lieu de Pésenas qui serait encore mieux en Pésénas).

 LES NOMS EN –AC

Ils sont donc issus de la suffixacion en –acum qui se réduit ensuite à –ac.

Montagnac = Montanus + -acum. En occitan Montanhac.

Florensac = Florentius + -acum. En occitan Florençac (encore un s anti-étymologique).

Veyrac = Varius + -acum. En occitanVairac. Encore la lettre y totalement fantaisiste dans la transcription française… Et donc Villeveyrac, de l’occitan Vilavairac. Ce village porte aussi le nom de Vilamanda en occitan.

 LES NOMS D’AUTRES ORIGINES

Tous les toponymes ne sont pas d’origine latine. Certains sont bien plus anciens, dont la racine est attribuée à une langue antérieure, cataloguée de pré-indo-européen. D’autres peuvent avoir une origine gauloise ou germanique.

Mèze vient du latin mesua qui aurait pour base une racine pré-indo-européenne mis, signifiant peut-être marécage, selon les toponymistes. Sa transcription française est encore fantaisiste et devrait être Mèse (de l’occitan Mèsa ou Mesa ?).

Sète a pour base une racine pré-indo-européenne set, signifiant montagne, Seta en occitan (avec un e fermé). Elle a été un temps affublée du nom de Cette (par attraction avec l’adjectif démonstratif français ?).

Montbazin est formé sur le latin montem (mont) et le nom d’homme germanique Basen. En toute logique le toponyme s’écrit Montbasin (encore un z fantaisiste !).

Agde est évidemment à part, puisque ce fut un comptoir grec. Elle tient son nom du grec Agathé, qui donne Agde en occitan, prononcé [Adde] ou [Ate] et dont l’adjectif dérivé est en occitan agatenc ou dagdenc(prononcé [daddenc] ou [datenc]).

LES NOMS LIÉS AUX PLANTES

Quelques toponymes et microtoponymes (il faudrait en faire le recensement plus exhaustif sur les cartes anciennes) sont en liaison directe avec la présence d’une plante.

Pinet = petit bois de pins (pinus + -etum). De l’occitan Pinet.

Pomérols = pommeraie, petit verger de pommiers. De l’occitan Pomairòl.

Tamarissière = lieu où abonde le tamaris. De l’occitan Tamarissièira. À noter que l’arbrisseau est féminin en occitan (la tamarissa). Il prend ici le suffixe –aria qui désigne en latin le collectif « forêt de…, étendue de… » (cf. Eusièira, Rovièira, transcrits en français en Eusière, Rouvière, etc.)

Les Mougères (à Marseillan) : lieu où abonde les cistes (moge en occitan). De l’occitan Las Mogièiras. Ce nom a pu être déformé en certains endroits et donné par transcription en français… Les Mouches, Les Mouchères ! Non, point d’insectes, mais seulement cet arbuste de garrigue aux belles fleurs fragiles, qui a donné aussi le Château de la Mogère, à Montpellier.

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QUELQUES AUTRES NOMS OCCITANS

Bouzigues est formé sur l’occitan Bosigas, terres défrichées, du gaulois bodica.

Issanka, bien folklorisé lui aussi, vient de l’occitan eissancat, issancat, qui signifie humide, trempé.

La Gardie, La Gardiole, ici comme aileurs, désignent toujours des hauteurs d’où l’on peut observer et donc surveiller. Ils sont formés sur l’occitan Gàrdia, et son diminutif Gardiòla, à partir d’un étymon germanique.

La Peyrade, La Rouquette, Le Clap (Bouzigues), Les Clachs (Poussan) font tous référence à la pierre. Ces noms sont issus de l’occitan Peirada (la jetée, du latin petram, pierre), La Roqueta (petite roche, de l’occitan ròca, d’origine pré-indo-européenne ?), Lo Clap, au pluriel Los Claps (amas de rocher, formé sur la racine pré-indo-européenne clapp, pierre). La phonologie particulière du languedocien concernant le pluriel de Claps a mené à entendre [Clachs].

Valmagne est issu de l’occitan Valmanha, signifiant grande vallée

Grenatière vient de l’occitan Granatièra, un grenier.

Les Ounglous est une déformation de l’occitan Los Anglons (petits terrains en angles), sans rapport avec les ongles ! Le n final d’Anglon ne se prononce pas en languedocien.

Vic, toponyme fréquent, vient du latin vicum, signifiant village (d’où chemin vicinal).

 

Comme partout, les toponymes disent l’histoire, les travaux des hommes, l’emplacement des villages, la qualité des sols, la présence dominante de tel ou tel végétal. Une leçon complète de civilisation indissociable d’une langue… Comme tels, ils doivent être respectés dans leur transcription, et non folklorisés selon des démarches qui doivent très peu à la science linguistique…

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